Comme je vous l’expliquais dans la première partie de cet article consacré à l’exploration du Shiretoko, l’aspect culturel n’est bien évidemment pas le seul attrait de la région.
Car s’il est communément admis que cette partie d’Hokkaido dispose d’un réel bagage historique, c’est surtout sa nature pratiquement vierge de toute intervention humaine qui fascine le voyageur de passage dans la péninsule. Et qui dit zone préservée dit végétation florissante et population animale décomplexée, ce que je me suis fait un plaisir d’aller découvrir par le biais d’un trek de deux jours dans les montagnes du Shiretoko.
En effet, la spécificité de la région est de disposer d’une position géographique et d’une topographie très particulière, dont est issue une immense variété de la flore locale ; on trouve tout autant d’arbres et plantes du sud de l’île que de végétation alpine. On peut remercier pour cela les vents venus directement de Sibérie qui de par leur action, permettent de recréer les conditions d’une altitude de 3000m+ alors que l’on ne se trouve en réalité qu’à 1000m.
Découle de tout cela une sorte de coupure radicale très visible entre la végétation au sol et celle située en altitude.
Rassurez-vous, je ne vais pas me lancer dans l’inventaire latin des différentes espèces trouvables sur place (d’ailleurs ce site en anglais le ferait nettement mieux que moi), par contre je vais vous montrer le contraste entre ces deux mondes séparés, sur les deux photos suivantes, par seulement 650m d’altitude:
D’ailleurs sur la seconde photo vous venez de faire connaissance avec le Pin nain de Sibérie qui s’est avéré être mon pire ennemi sur place, j’y reviendrai plus bas.
Mais en plus d’une végétation luxuriante, le Shiretoko permet de partir à la découverte d’une large population animale aussi bien marine que terrestre, évoluant dans un environnement parfaitement sain car protégé. Des phoques en mode touriste sur la banquise lors de l’hiver aux renards chapardeurs qui osent parfois s’aventurer dans les villages locaux en quête de nourriture facile, il est possible avec un peu de chance d’apercevoir pléthore de bêtes sauvages. Aigles, chouettes, cerfs mais aussi serpents (bien au chaud à proximité des sources thermales volcaniques) ou tortues font tranquillement leur vie dans ce petit bout de paradis (Pour plus de détails sur la faune locale, consultez à nouveau ce site en anglais).
Cependant, c’est l’ours brun qui fait la loi dans les contrées sauvage de la péninsule. En effet, avec une population d’environ 400 à 600 ours brun pour une superficie de 1230km², faisant de la densité de population associée l’une des plus élevée au monde, il est plus que probable de se retrouver nez à nez avec cette boule de poil mignonne-ou-pas lorsque l’on se déplace dans la région. Il arrive même parfois que, lorsqu’un ours prenne un peu trop la confiance, il ose se montrer aux abords des villages dans l’espoir de trouver de quoi bouffer.
Aussi des conditions de sécurité extrêmement strictes ont-elles été émises à l’intention des randonneurs par l’agence des forêts pour éviter les accidents : interdiction de sortir des sentiers battus sous peine de forte amende, obligation de planquer les aliments dans des containers blindés positionnés sur les divers sites de camping histoire d’éviter que les ours ne soient attirés par une odeur alléchante sous la tente, port fortement conseillé d’une petite clochette pour avertir de son passage (les ours détestant être surpris), ainsi que tout un tas de consigne de sécurités à respecter en cas de rencontre.
Pour les résumer : reculer calmement et en baissant les yeux (BAISSE LES YEUX JTE DIS WESH) pour ne pas chauffer la bête, puis, en cas de charge malheureuse, se coucher le plus calmement possible au sol, jambes écartées et mains sur la tête pour n’offrir aux griffes de l’ours que son sac à dos protecteur. Ça semble plus facile à dire qu’à faire, mais il est probable que l’on n’ait plus trop le choix une fois qu’on a réussi à attirer leur attention.
Il est d’ailleurs possible de louer, auprès des centres des visiteurs de la région, un spray au poivre en cas d’attaque que je me suis fait un plaisir de me procurer, à utiliser à moins de 3 mètres pour être efficace, mais l’effet n’étant pas garantie à 100%, il est tout à fait possible d’énerver encore plus le gros nounours avec ce truc qui picote:
Pour les sceptiques, car il y en a toujours, il n’y a aucun problème à trouver des preuves de l’activité de ces charmantes petites bêtes, comme le prouve ce tronc d’arbre meurtri ayant servi de mur d’escalade sur le rebord de l’unique sentier de randonnée du parc:
Ah, et ces marques de griffes montent jusqu’à environ 6 ou 7 mètres. Faut donc pas imaginer pouvoir se planquer dans les branches d’un arbre en cas d’attaque :p
A noter qu’en de rares occasions certains ours osent s’aventurer à proximité des habitations. Ceci est principalement dû à des cas isolés un peu trop enhardis suite à une précédente confrontation avec les humains pas vraiment traumatisante (ex: un randonneur qui se serait fait la malle à la vue de l’ours, en laissant derrière lui un sandwich au thon bien garni) et dans ce cas, ça ne rigole plus : fermeture jusqu’à nouvel ordre du parc dans sa totalité jusqu’à résolution du problème, en plus du rappel de l’interdiction de nourrir les animaux du parcs pour éviter qu’ils associent les zones de fréquentation humaine à un supermarché.
C’est donc fort de ces informations que je me suis joyeusement lancé à l’assaut du Rausu dake, la plus haute montagne volcanique de la péninsule du haut de ses 1660 mètres, montagne que vous pouvez apercevoir sur ce fantastique panoramique:
Ayant eu l’intention de passer la nuit sur le camp site de Rausu Daira, une sorte de petite plateforme naturelle située à 35 minutes du sommet, j’ai décidé d’attaquer la randonnée par le côté peu fréquenté au départ du village de Rausu, sur le flanc sud-est de de la montagne, pour une durée estimée à 6 heures de marche.
J’ai d’ailleurs pour l’occasion passé une première nuit sous la tente au départ du sentier, profitant de mon intérieur trois pièces cuir chauffage naturel haute qualité :
Dans un premier temps, ce choix s’est avéré extrêmement judicieux puisque j’ai eu la chance de ne croiser absolument aucune âme qui vive lors de la première journée. Lorsque l’on se déplace au travers d’une quasi jungle luxuriante puis sur le sentier venteux de sa montagne, la sensation d’isolement fait rapidement place à l’euphorie de l’explorateur découvrant une contrée sauvage pour la première fois, sentiment largement amplifié par le fait que cette fois, nous sommes l’invité de la nature (et surtout des ours), et qu’il nous appartient de nous adapter en nous faisant tout petit. C’est qu’on serait presque assailli de romantisme à la vue des cours d’eau serpentant langoureusement au milieu de ces rocs millénaires:
Pourtant la réalité fini toujours par rattraper le randonneur: Après une longue marche tranquille puis une escalade éprouvante de 45 minutes sur le contrefort de la montagne, j’ai constaté un changement drastique de climat pour les raisons sibériennes évoquées plus haut.
Il avait plu assez violemment la nuit dernière (sympa la nuit sous la tente au passage) sauf qu’à cette altitude cette pluie s’était en réalité transformée en neige. N’ayant pas, depuis mon site de camping initial, de vue directe sur le sommet pourtant totalement asséché la veille, j’ai été complètement pris par surprise et d’une randonnée un poil étouffante et transpirante en milieu humide, je suis passé à une marche sur de la neige glissante (hé oui, pas de crampons), assailli par le vent et le froid.
Une dernière photo lors de l’apparition des premières traces sérieuses de neige avant de ranger définitivement l’appareil photo (les petites traces sur le sol sont probablement celle d’un renard qui s’est pas fait chier à courir ailleurs que sur le sentier balisé, j’aurais fait pareil perso. Ah bah oui, tiens.)
A ce stade, plutôt fatigué par l’ascension initiale, la dernière heure et demie de grimpette s’est révélée extrêmement éprouvante avec une jolie baisse de moral au fur et à mesure de ma progression. Le bouquet final s’est présenté lorsque le sentier a soudainement disparu dans une forêt de pins nains de Sibérie, ceux dont je vous parlait plus haut, dont les branches étaient chargées de la neige de la veille. Évoluer au milieu de centaines de branches rigides qui se faisaient à chaque contact le malin plaisir de glisser des fournées de glace entre mon dos et le sac voire même carrément à l’intérieur du coupe-vent, avec le doute grandissant quant à l’éventualité de m’être perdu au milieu de cette végétation à-la-con, a fini de cramer le peu de motivation qui me restait.
Histoire d’assurer un côté dramatique à la scène, j’ai pu apercevoir sur l’un des flancs maculés du contrefort à une cinquantaine de moi des traces de pas plutôt larges et de visiblement plusieurs individus. Malgré le mince espoir suscité par le fait d’avoir peut-être découvert les signes d’un petit groupe de randonneurs casses-cou aimant faire du hors piste, j’ai été dans l’obligation de conclure à un passage d’ours (sûrement la maman et ses gosses) relativement frais à proximité du sentier.
J’ai quand même réussi à sortir de cette forêt et à retrouver le sentier pas si loin de mes estimations, pour terminer au quasi pas de course jusqu’au site de campement, espérant y trouver un ou deux randonneurs téméraire ayant décidé également d’y passer la nuit pour retrouver une petite once de civilisation.
Evidemment, le coin était totalement désert.
C’est donc transi de froid que j’ai entrepris de monter la tente sur un petit tapis de neige balayé par les vents, assurant les piquets avec les gros cailloux trouvés aux alentours, pour ensuite me précipiter dans l’espace de protection offert par mon abris en toile.
Après le changement de vêtement obligatoire pour rester au sec, je me suis foutu dans le sac de couchage aux alentours de 15h pour ne plus en bouger jusqu’au lendemain 4h30 du matin. A noter qu’il m’a été impossible de me réchauffer, tout tremblotant que j’étais sous mes couches de vêtements et sac de couchage, j’ai préféré sortir la couverture de survie en mode inquiet quant à l’éventualité d’une hypothermie. Il faut dire qu’aux alentours de 20h, il faisait -4 sous la tente, puis -9 vers deux heures du matin. Je suis en mesure de préciser l’horaire car avec le vent, le froid et la peur de me faire bouffer par un ours (même si j’ai eu la présence d’esprit de planquer mon stock de nourriture dans le container avant de me réfugier dans mon igloo synthétique), j’ai pas trop pu fermer l’œil.
Une vraie petite biche terrassée par la peur.
Aux premières lueurs de l’aube j’ai très rapidement tout plié, enfilé mes vêtements de la veille encore trempés, et abandonné toute idée de conclure l’ascension du Rausu dake histoire de me tirer super vite de là. J’étais à 45 minutes de marche du sommet, voici la seule photo que j’ai prise avant de décoller histoire de ne pas être trop frustré quand je serai retourné à la vie normale:
La descente sur le versant opposé s’est révélée être un tout autre monde : sentier archi-balisé, neige rapidement disparue, chaleur vite retrouvée, nombreux randonneurs croisés, retour à la civilisation en moins de 3 heures de marche. J’ai même sérieusement étudié la possibilité de faire demi-tour à mi-parcours tant je me suis rendu compte à quel point j’avais dramatisé ma situation au point d’abandonner sans réfléchir mon objectif.
Mais au final, alléché par la promesse d’un repas bien garni dans un restaurant du village du coin puisque je n’avais rien avalé de solide depuis la veille au matin, j’ai décidé de céder à la facilité en retournant parmi les hommes.
Inutile de préciser qu’au moment d’écrire ces lignes, je suis quand même absolument dégoûté d’avoir échoué à quelques dizaines de minutes du sommet, en plus d’avoir raté la photo de l’année.
Et j’ai même pas croisé d’ours.
Mais pas d’entourloupe. Le Shiretoko est probablement la plus belle région que j’ai eu la chance de visiter au Japon jusqu’à présent, car oui c’est beau, frais et captivant, mais c’est surtout cette sensation bien réelle de s’aventurer au milieu d’une nature vierge et sauvage qui fait tout le charme de cette destination un peu hors du temps. Ce fût dur, mais que ce fût bon.
Comme d’habitude, les photos en HD du trek + la visite du « Shiretoko-cinq-lacs » par ici.
Pas le droit/pas possible de faire du feu ?
Le droit non clairement, mais possible oui, même si j’avoue qu’avec le vent dans les hauteurs ça aurait peut être été tendu même avec le réchaud. Mais comme imaginer ne serait ce que sortir un doigt du sac de couchage pour ouvrir la tente me filait la nausée, j’y ai à peine pensé. (C’est vrai que je gardais en dernier recours l’allumage du réchaud sous la tente pour grappiller quelques degrés en cas de pépins, mais A NE SURTOUT PAS FAIRE CHEZ VOUS! Le feu sous la tente c’est le mal absolu. Puis -9 c’est pas si dramatique au final :p)
Perso j’aurais kiffé tenter de faire du feu.
T’inquiète pas, on fera un joli feu de joie pour notre prochaine sortie en plein air :)))))